La Cantine du Moulin-Blanc
Un dossier VLRK - La pollution par le mercure
Au sommaire :
Pollution par le mercure – Y. Ozier – mai 2021
POLLUTION PAR LE MERCURE
Le mercure est le seul métal à être à l'état liquide dans les conditions ambiantes de température et de pression. Il ne peut être ni créé ni détruit et il persiste dans l'environnement. C’est une substance très toxique, en particulier pour l'enfant in utero et en bas âge. Il tend à s'accumuler dans les organismes vivants.
Sources de mercure
Dans le mercure de l’environnement, il y a une composante naturelle et une composante anthropogénique. Le mercure est un élément chimique métallique naturellement présent dans l'environnement. Il est présent dans des roches magmatiques (la production naturelle est très liée à l’activité volcanique). Il est présent dans le schiste, le charbon et le pétrole brut. La composante anthropogénique est très prédominante. Le mercure est très utilisé dans des domaines très variés. Il est employé depuis longtemps dans de nombreux processus industriels, dans l'électronique, dans la fabrication d’instruments de mesure, de lampes, de piles, de peintures, de fongicides. Il a même été utilisé dans les amalgames dentaires que beaucoup de gens ont encore en bouche. En dépit de mesures actuelles de limitation figurent dans les sources de pollution environnementale les émissions des centrales thermiques au charbon, des incinérateurs de déchets, des cimenteries, des aciéries, notamment. Dans l'atmosphère, les particules contenant du mercure peuvent être transportées par les vents à des centaines de kilomètres. Le mercure a une forte tendance à s'accumuler dans les sols.
Formes de mercure
On peut schématiquement distinguer trois formes : le mercure élémentaire, le mercure inorganique et le mercure organique (mercure méthylé).
La forme élémentaire est le liquide brillant et lourd que chacun a connu dans les anciens thermomètres et instruments de mesure de la pression. Cette phase liquide est en fait en équilibre avec une phase gazeuse. L’évaporation augmente avec l’élévation de la température. Les vapeurs inhalées sont bien absorbées par les poumons, et 80% de ce mercure métallique gazeux va pénétrer dans la circulation sanguine. D’autres voies d’absorption moins importantes peuvent occasionnellement exister (voies digestive et cutanée). Ce mercure peut pénétrer dans le cerveau et, chez la femme enceinte, dans le foetus.
La forme inorganique est représentée par des composés de type sulfure, chlorure, oxyde, etc... Son absorption pulmonaire ou digestive est faible. Ce mercure ne passe pas dans le cerveau, mais peut passer chez le foetus. Il s’accumule essentiellement dans les reins.
La forme organique est constituée de composés méthylés et est hautement toxique. Elle provient de la méthylation de mercure inorganique par des bactéries présentes dans l’eau, les sédiments et le sol. Dans le passé, des dérivés organiques ont été employés comme antifongiques ou algicides dans la fabrication des peintures. Le methylmercure est très facilement absorbé par le tube digestif. Il est bioaccumulable dans les les tissus de différentes organismes vivants avec un phénomène de bioamplification chez les espèces prédatrices situées en aval de la chaîne trophique. Chez les poissons, les espèces les plus contaminées sont les grands thons, les squales et les espadons. En fin de chaîne alimentaire, l’homme est exposé à une intoxication au mercure en cas de consommation excessive, régulière, de ce type de poisson, comme l’a montré le drame de Minamata. C’est une source de préoccupation pour les populations dont l’alimentation est très dépendante du poisson et des mammifères marins, comme les Inuits.
Exposition au mercure
Chacun est plus ou moins exposé au mercure puisqu’il se trouve dans l’environnement (l’air, l’eau et les aliments) à des niveaux variables.
Mis à part le cadre professionnel, les principales sources d’exposition au mercure de la population sont :
La consommation de poissons de grande taille – requin, raie, espadon, thon de grande taille (donc pas la bonite ni le thon listao) – en raison de la bioamplification du methylmercure. Notons que les coquillages qui filtrent de grandes quantités d'eau pour en extraire des nutriments captent et concentrent aussi des polluants, dont le mercure, ce qui est un problème en cas de contamination « naturelle » ou accidentelle d’un estran.
Une autre source d’exposition est constituée par les amalgames dentaires contenant environ 50% de mercure. S’il n’existe pas actuellement de preuve de conséquences délétères sur la santé, il est indéniable que les personnes ayant ce type d’amalgames ont des concentrations de mercure inorganique et de méthylmercure significativement plus élevées dans le sang ( https://doi.org/10.1016/j.ecoenv.2016.09.001 ). Une directive européenne récente en interdit la pose chez les enfants de moins de 15 ans, les femmes enceintes ou allaitant, et en cas de maladie rénale. L’objectif est de les voir disparaître à l’échéance de 2030. En revanche, leur ablation n’est pas préconisée, sauf cas particulier.
Dans un passé relativement récent, un nombre considérable de dispositifs et de produits contenaient du mercure (thermomètre bien sûr, mais aussi piles, lampes fluorescentes, peintures, etc). Ceux-ci peuvent toujours traîner dans les maisons.
Dans certaines zones comme en Guyane, l’orpaillage illégal représente un grand danger pour les populations. Il fait appel à des quantités considérables de mercure se chiffrant en tonnes. L’amalgame or-mercure est chauffé pour évaporer le mercure, qui retombe dans les cours d’eau avec les pluies, contamine l’eau, les poissons et les populations qui les consomment.
Risques sanitaires
Nous mettrons de côté les risques sanitaires liés spécifiquement à une manipulation intentionnelle plus ou moins professionnelle de mercure (inhalation de vapeurs génératrice de lésions pulmonaires).
La toxicité chronique est surtout neurologique et, à un moindre degré, rénale. Les risques d’effets nocifs liés à une pollution environnementale ont plusieurs caractéristiques :
Le risque est beaucoup plus élevé chez le foetus et l’enfant que chez l’adulte en raison de l’immaturité du système nerveux ; Les femmes enceintes ou allaitantes et les jeunes enfants représentent donc une population très sensible.
La toxicité ne se manifeste fréquemment qu’après un délai de plusieurs semaines voire mois.
La traduction initiale de la neurotoxicité n’est pas spécifique, notamment en cas d’intoxication chronique, d’où une difficulté à en identifier la cause.
La toxicité neurologique peut se manifester au début par une fatigue, une irritabilité, des troubles du sommeil. En cas d’exposition continue, à une phase ultérieure apparaît un signe plus caractéristique, le tremblement (extrêmités, paupières, langue, lèvres ...). A un stade plus évolué, l’écriture et la marche deviennent difficiles. Chez le petit enfant peut exister un retard mental. L’intoxication chronique prolongée conduit à des états plus graves : cécité, coma, etc .... Les symptômes nerveux liés à une intoxication acquise in utero peuvent exister même en l'absence de signes toxiques chez la mère.
Il est possible que l’exposition au mercure ait aussi des effets cancérigènes, tératogènes, et qu’elle nuise à la fertilité.
(voir l’encadré sur la tragédie de la baie de Minamata)
Le mercure en rade de Brest
L’IFREMER surveille depuis 1979 la pollution des sédiments et des coquillages du Bassin Loire-Bretagne par un certain nombre de substances, notamment le mercure, le plomb et le cadmium (1) . La rade de Brest est particulièrement surveillée en raison de la multiplicité des sources possibles de contamination : activité portuaire importante, apports de rivières (Aulne et Elorn) pouvant apporter des métaux provenant de l’activité industrielle / urbaine /agricole / minière, rejets de décharge, déchets de carénage « sauvage », etc ... En rade de Brest existent plusieurs points de prélèvements de sédiments et/ou de la chair de coquillages, notamment à l’embouchure de l’Elorn, au Passage. Sans surprise, les résultats de cette surveillance montrent que les concentrations de contaminants mesurées dans les sédiments de la rade sont parmi les plus élevées pour de nombreuses substances, dont le cadmium, le plomb et le mercure. Dans la rade de Brest, les métaux sont originaires majoritairement de l’Aulne dont le bassin versant compte les mines de plomb argentifère du centre Finistère (Poullaouen, Huelgoat, Berrien) exploitées par intermittences depuis des siècles jusqu’à la moitié du XX ème . Même si elles ne le sont plus depuis les années 1930, ces mines continuent à contaminer en divers métaux les eaux de l’Aulne, donc de la rade. Dans les sédiments de l’Aulne les concentrations de mercure dépassent les critères « hauts » d’OSPAR - Convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est (c’est-à-dire les concentrations à partir desquelles il pourrait y avoir des effets sur les organismes vivants).
En outre, le rapport de l’Ifremer apporte deux éléments intéressants :
Le premier est que, étonnemment, les niveaux de concentrations ne sont pas très élevés dans la chair des mollusques testés (huîtres et moules), ce qui suggère que le mercure particulaire présent en abondance dans les sédiments est peu bio-disponible pour ces coquillages ;
Le second est que, à la différence d’autres métaux comme le cadmium ou le plomb, l’Aulne n’apparaît pas être la seule contribution à l’apport de mercure dans la rade, une part importante étant issue de l’Élorn. L’origine de cette dernière n’est pas identifiée.
Il semblerait que le sol du site de la Cantine du Moulin Blanc est pollué par des composés mercuriels. Il est très difficile, voire impossible, d’obtenir des informations sur ce sujet bien que des analyses auraient été effectuées. Cette pollution pourrait s’expliquer par le fait que le fulminate de mercure, un composé organomercuriel, a été utilisé jusqu’à la seconde guerre mondiale comme détonateur (explosif primaire ou amorce) dans les cartouches de pistolet, fusil et obus (2) . Depuis lors, il a été remplacé par d’autres substances (un peu) moins toxiques. Il est hautement vraisemblable que le fulminate de mercure a été utilisé dans la fabrique de munitions sur le site de la poudrerie du Moulin Blanc.
La tragédie de la baie de Minamata (3)
Le drame qui s’est déroulé à Minamata, une petite ville côtière du Japon, illustre les dangers de la pollution au mercure et de la toxicité de ses dérivés organiques comme le méthylmercure.
A partir des années 1930, une usine chimique a utilisé de l’oxyde de mercure comme catalyseur, en rejetant dans la baie ses déchets, dont des dérivés mercuriels. A la fin des années 1940 est notée une grande fréquence de manifestations neurologiques (handicaps moteurs, troubles de l’équilibre, notamment), de malformations de nouveaux-nés, et de décès. Ces manifestations touchent particulièrement les familles de pêcheurs de la baie, notamment parmi les enfants. On observe aussi des manifestations neurologiques étranges chez les chats du port. Ce n’est qu’à la fin des années 1950 qu’un médecin de la firme en cause fera la démonstration de la responsabilité des rejets mercuriels, mais il faudra encore attendre 1966 pour que ces rejets cessent et 1996 pour que l’état et la firme commencent à indemniser les victimes. Plus de 13 000 victimes ont été reconnus par l'État, et quelques milliers de dossiers sont encore en débat.
Quelques caractéristiques de ce qui a été appelé la maladie de Minamata sont à souligner :
Le délai de latence entre le début des rejets mercuriels dans la baie et les premiers cas observés : Il serait lié au délai pour que le mercure inorganique soit transformé en méthylmercure et que ce dernier s’accumule progressivement dans la chaîne alimentaire, du plancton jusqu’aux gros poissons et aux coquillages.
Les très longs délais de latence entre les premiers cas et la reconnaissance de la responsabilité du mercure (et que dire des délais avant indemnisation des familles concernées !).
Le fait que des enfants in utero aient pu développer une maladie sévère alors même que les mères ont été indemnes. Ceci montre bien la vulnérabilité particulière de cette population à la toxicité du mercure.
Références
(1) Chiffoleau J.-F. (2017). La contamination chimique sur le littoral Loire-Bretagne. Résultats de 35 années de suivi du Réseau d’Observation de la Contamination Chimique. RST.RBE- BE/2017.02. Ifremer. https://archimer.ifremer.fr/doc/00405/51617/52170.pdf
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Fulminate_de_mercure(II)
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_de_Minamata
Yves Ozier - mai 2021